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Bilbao Kultur Lab

Dans les plis de Balenciaga

Louise Wessbecher / Guillaume Faure

13/05/2011

Près de 40 ans après la mort du couturier Cristóbal Balenciaga, nous avons voulu mesurer son héritage à Bilbao et dans son pays basque natal. Enquête auprès de créateurs et professionnels de la mode.

Pour la plupart des Français, le maître est parisien, peut-être même italien. Cristóbal Balenciaga est né dans la province de Guipuscoa, à 80 km de Bilbao, dans le petit village côtier de Getaria. Qui le sait aujourd''hui à Bilbao? Que reste-t-il de l''esprit Balenciaga au Pays Basque ?

"Les Bilbainos ne connaissent pas tous Balenciaga. Mais les Basques oui". Lucía Perez, habitante de Bilbao, se promène souvent dans le quartier bourgeois d''Abando. Gucci, Maje, Loewe... c''est ici que sont concentrées les boutiques de luxe. Avec ses larges lunettes de soleil et son chien modèle réduit, la sexagénaire explique que les Bilbainas portent beaucoup d''attention à leur façon de s''habiller.

Les anciennes générations de femmes avaient d''ailleurs toutes leur tailleur attitré. On sent ici une profonde tradition de couture. Rosa Orrantia, fondatrice du concept store Persuade le confirme. Elle est la seule revendeuse agréée de vêtements Balenciaga sur toute la métropole basque. "Bilbao est une ville riche, les habitants aiment les choses bien faites et de qualité".

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Larges manches, taille marquée, col retourné, couleurs unies

Classe, sobriété et élégance. La maison de haute couture fondée par Cristóbal Balenciaga en 1919 a marqué le monde de la mode. Et influencé un grand nombre de couturiers contemporains. Isabel Hormaechea est une créatrice basque installée à Getxo depuis une quinzaine d''années.

Pour elle, Balenciaga est "un génie, un novateur". Les tendances des années 1940-50 sont sa principale source d''inspiration. Mais de tous les grands noms de l''époque, le Basque exilé à Paris est pour elle le premier. Larges manches, taille marquée, col retourné, couleurs unies : la Bilbaina joue sur les volumes et soigne les coupes. Comme "el maestro".

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Isabel Hormaechea évoque Balenciaga comme sa première source d''inspiration

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Discret, en retenue pendant tout l''entretien, le regard de la créatrice s''anime lorsqu''elle évoque un souvenir. Elle parle soudain plus fort. Et plus vite. Il y a un an, elle a restauré dans son atelier une collection privée de quatorze pièces originales créées par Cristóbal Balenciaga. Une vieille dame du Pays Basque les avait retrouvées dans une malle de son grenier.

Un "moment magique" : "Je connaissais bien sûr ses vêtements, mais là j''ai pu les voir de l''intérieur". Elle avoue en riant que si le couturier peaufinait l''extérieur à la perfection, l''envers était plutôt "artisanal". Une expérience forte qui "influence sûrement inconsciemment [ses] travaux depuis". Interrogée sur le style Balenciaga, elle prend le temps pour choisir le qualificatif : "élégantissime".

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L''habitude de déstructurer complètement ses créations

Cage d''ascenseur grillagée, machine à coudre Singer, estampes d''époque. L''Escuela de Moda Teresa Gandarias a un petit air du Paris de l''entre-deux guerres. C''est là que nous rencontrons Aurora Polancas, enseignante dans cette école de stylisme.

Elle conserve depuis bientôt trente ans les coupures de presse relatives au créateur basque. A tel point qu''elle raconte avoir été surnommée la "pequeña Balenciaga", comprendre la "petite Balenciaga".

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Aurora Polancos transmet le savoir-faire du créateur basque à ses élèves

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Le travail sur mesure, entièrement fait à la main, la fascine. Elle rapporte que Cristóbal Balenciaga avait l''habitude de déstructurer complètement ses créations. Pour ensuite recommencer à zéro. Jusqu''à la perfection. Le couturier maitrisait toutes les étapes de la confection. Du dessin à la couture. De la découpe des tissus au repassage. Un procédé artisanal que les deux femmes tentent de faire perdurer. Aurora Polancos semble d''ailleurs n''accorder que peu de crédit à Nicolas Ghesquière, actuel directeur artistique de la marque. Sa vision de la "alta costura" ne recoupe pas celle du créateur français, qui s''oriente plus vers un prêt-à-porter de luxe. Même s''il reste bien sûr des traces de Balenciaga dans les lignes d''aujourd''hui.

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Bientôt un musée dans son village natal Getaria

Getaria est, encore aujourd''hui, un village de pêcheurs sur la route de Sán Sebastián. Deux mille cinq cents personnes et la fierté de compter parmi ses anciens habitants Cristóbal Balenciaga. Au début du mois de juin, un musée dédié au couturier va ouvrir : dix ans de travaux pour un coût d''une vingtaine de millions d''euros. Dans ses murs il y aura, parait-il, une école de haute-couture. Peu d''informations sont diffusées sur ce volet du Museo.

Il n''existe que deux lieux à Bilbao où l''on enseigne le stylisme. "Maintenant les jeunes qui veulent faire du design partent à Barcelone, ou même à Milan", regrette Isabel Hormaechea. Alors Aurora Polancos s''applique à parler du créateur basque à ses élèves. Pour ne pas qu''on l''oublie.

"Le problème, c''est qu''il n''y a pas assez d''informations ou d''hommages rendus au couturier". Une conférence au Guggenheim en 2001, une exposition au musée des Beaux-arts en 2010. Mais rien de plus. Un peu juste pour la terre natale de celui qu''on surnommait "le roi de la couture parisienne".

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Il a habillé Marlène Dietrich, Victoria-Eugénie d''Espagne et Audrey Hepburn

En l''absence d''un vivier de professionnels unis, il semble que le gouvernement du Pays Basque soit un peu perdu en matière de mode. L''enseignement et la transmission sont pourtant indispensables pour Isabel et Aurora : "La jeunesse est un atout, mais il faut y ajouter l''expérience de professionnels. Une formation est nécessaire pour créer une ligne de qualité".

Il a habillé Marlène Dietrich, Victoria-Eugénie d''Espagne et Audrey Hepburn. Il a transmis son savoir-faire à Hubert de Givenchy, Oscar de la Renta et Emmanuel Ungaro.

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Une des vestes confectionnées par les élèves d''Aurora Polancos.

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Le risque reste de voir ce patrimoine figé dans le bloc de marbre et de verre d''un musée. En souvenir d''un passé glorieux. Isabel Hormaechea relativise : "Il est vrai que nous n''avons qu''un seul créateur de génie au Pays Basque, mais celui-ci vaut vraiment de l''or!".

On imaginait trouver un peu plus de l''esprit du "couturier des couturiers". On raconte pourtant que les Bilbainas encore en possession de pièces du maître les transmettent à leurs petites-filles.

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(Photos: Bastien Deceuninck, Mickaël Frison)

(Reportage réalisé dans le cadre du projet Bilbao Kultur Lab).