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Pôle de déchets Canopia

Avec Urbaser, Bayonne peut-elle éviter la ''grosse, grosse galère'' ?

Ramuntxo Garbisu

eitb.com

16/03/2018

Le projet de pôle de déchets Canopia de Bayonne sera conçu et exploité par le groupe espagnol Urbaser, en procédure judiciaire depuis le 15 décembre 2010 en Ardèche après l'échec de trois unités TMB.

C'est ce jeudi que se termine la deuxième et ultime enquête publique visant à l'implantation dans les quartiers nord de Bayonne d'un pôle de valorisation de déchets, Canopia, faisant appel à la technologie du TMB (tri-mécano-biologique), tel que souhaité par Bil Ta Garbi, le syndicat de traitement des déchets d'une partie des communes du Pays Basque nord et du Béarn.

Le caractère exceptionnel de Canopia tient autant à la complexité du processus mis en oeuvre (tri mécanique des déchets, production de biogaz et d'électricité par méthanisation, production de compost pour l'agriculture) qu'à son implantation au sein d'une zone urbaine de 4.000 habitants, un point fondamental dans la mesure où jamais en Europe une usine TMB n'a été implantée aussi près des riverains (la première habitation est à 50 mètres).

L'opposition de riverains au sein du collectif associatif de l'ADECH aura porté sur ces deux aspects, demandant aux élus de choisir une autre zone d'implantation, mais également de renoncer à la technologie du TMB.

Considérant qu'il n'existait pas de "plan B", Bil Ta Garbi a désigné en avril 2010 l'industriel en charge de la conception, mais également de l'exploitation de Canopia, à savoir le groupement industriel espagnol Urbaser, dont la branche Environnement est basée à Montpellier.

"L'offre d'URBASER a été jugée comme la plus pertinente au regard des critères de jugement préétablis. Leur projet a été retenu principalement pour ses gages de fiabilité, pour ses performances environnementales (air, eaux et bruit) et techniques", a communiqué Bil Ta Garbi à cette occasion.

Un son de cloche bien différent de celui que l'on entend auprès du Sytrad, syndicat de la Drôme et de l'Ardèche, qui, en 2005, a conclu avec Urbaser un marché public de 3 unités TMB, moins complexes que Canopia puisque non équipées du volet méthanisation, et qui décrit aujourd'hui "une grosse, grosse galère" devant l'échec qu'ils constatent.

"Je n'ai pas vu d'installations qui portaient autant de précautions que le projet de Canopia Bayonne", maintenait Alain Iriart en janvier dernier aux côtés du Directeur commercial d'Urbaser, Bertrand Hyllaire, avant de conclure : "nous serons jugés sur le résultat final, mais, en amont, nous nous sommes donnés les moyens nécessaires pour y parvenir".

Contacté ces jours-ci, le Directeur commercial d'Urbaser n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.

Le syndicat Bil ta Garbi, par la voix de son Président Alain Iriart, a souhaité pouvoir réagir dans un entretien à lire également sur eitb.com

Pour Alain Iriart, Canopia n'a nullement la dimension d'un pari, car il aurait retenu les aspects les plus contraignants et exigeants qui puissent être demandés à un industriel proposant cette technologie TMB.

"Bien sûr, ce serait un échec retentissant et terrible si cela venait à ne pas correspondre à nos ambitions, mais je suis certain que le cahier des charges de Canopia fera date, dans son intransigeance vis à vis des moyens à mettre en oeuvre sur un tel projet", exprime Alain Iriart.

En Ardèche et dans la Drôme, 3 TMB d'Urbaser sous le coup d'une procédure judiciaire

Sur les 3 unités envisagées par le Sytrad, la plus importante n'est toujours pas achevée (Etoiles sur Rhône, 80.000 tonnes par an), portant à 3 ans son retard d'exécution, et seules les deux plus petites (Beauregard-Baret pour 30.000 tonnes par an, et St Barthélémy de Vals pour 40.000 tonnes/an) sont en fonctionnement, mais avec un an de retard.

A ce retard s'est ajouté un dépassement financier du marché de base : aux 44 millions d'euros initiaux se sont rajoutés dans l'urgence 4 avenants financiers complémentaires ayant porté le coût final estimé à 56 millions d'euros à ce jour (hors coût d'études complémentaires, pour 4 millions d'euros), soit plus de 25% de dépassement, enrage le Sytrad.

Pour autant, les deux premières unités TMB ne sont toujours pas homologuées devant les "écarts performantiels très significatifs" constatés vis à vis des engagements pris par leur concepteur Urbaser, qui fait l'objet depuis le 15 décembre 2010 d'une procédure judiciaire de résiliation partielle des contrats de construction qui le lient à la Sytrad, avec 1,6 millions d'euros de pénalités demandées à l'industriel..

Annoncée à 52%, la valorisation des déchets entrants plafonnerait en effet à 35% selon les analyses du Sytrad, obligeant le syndicat à un enfouissement non prévu de 12.000 tonnes annuelles ; le compost produit est non stabilisé et continue de monter en température jusqu'à 60°C avec une ré-activation de la fermentation lors de son épandage, ce qui rend quasi-impossible son utilisation ; et surtout la pollution olfactive, mesurée scientifiquement à la sortie des biofiltres des usines, est 8 fois supérieure aux affirmations encore aujourd'hui d'Urbaser, indique le directeur technique Eric Morbo.

L'inspection du travail vient par ailleurs de remettre au Sytrad un rapport accablant pour chacune des deux unités TMB en service, lui demandant de remédier radicalement aux pollutions d'odeurs mais également de poussières qui affectent les salariés présents.

Urbaser "représente un gros souci de compétences"

"Nous sommes très très loin des performances souhaitées", commente le Directeur technique du Sytrad, "Urbaser représente un gros souci de compétences, de professionnalisme et de coordination, ce qui a des incidences très lourdes pour notre syndicat".

Devant le refus d'Urbaser de modifier sensiblement ses installations ou "d'investir un centime d'euro supplémentaire", le Sytrad a donc engagé un bras de fer juridique, face auquel l'industriel plaide pour sa bonne foi sur "la mauvaise qualité des déchets ménagers entrants" qui serait "responsable" de l'échec du processus TMB.

Concepteur de ces trois unités TMB, avec l'assistance du bureau d'études Girus de Montpellier, il n'était pas prévu qu'Urbaser en soit l'exploitant, "leur gestion a été confiée a d'autres consortiums, qui refusent logiquement de les exploiter en l'état", conclut Eric Morbo.

Nullement signalé dans le "CV public" d'Urbaser lors de sa présentation à Bayonne, cet échec patent n'est pas la seule valise un peu encombrante de l'industriel depuis que, dans son numéro de décembre 2009, la très sérieuse revue scientifique Environnement et Technique a dressé un portrait accablant du groupe après l'étude d'un autre site du groupe à Varennes-Jarcy (région parisienne), dont Urbaser n'est pas le concepteur cette fois-ci, mais l'exploitant.

A Varennes-Jarcy, une TMB exploitée par Urbaser ne serait pas plus convaincante

"Rétention d'informations, mensonges délibérés ou par omission, refus de répondre aux questions ou réponses biaisées… : nous avons rarement rencontré, dans la réalisation d'un dossier technique, un tel florilège d'obstacles", écrit le journaliste Olivier Guichardaz qui ne changerait pas une seule virgule à son dossier aujourd'hui, notamment sur la "rhétorique biaisée" de l'industriel quant à sa capacité à produire les preuves de sa production réelle d'électricité après méthanisation.

"Dans tous les cas, pour la consommation comme pour la production, on est loin des chiffres avancés par Urbaser/Urbasys", lit-on dans son dossier de 6 pages sur les TMB, qui évoque également un compost de pauvre qualité.

On y lit à ce sujet que le Directeur commercial d'Urbaser France, Bertrand Hyllaire, reconnaissait lui-même le 13 octobre 2010 que "12 agriculteurs assurent l'ensemble de la valorisation de ce compost", mais sans parvenir à le vendre (zéro euro de recettes), quand la moitié, désormais, est aujourd'hui répandue en re-végétalisation d'anciennes carrières.

Face à ce panorama assez déplorable, Bil ta Garbi a communiqué régulièrement sur le travail de "bordage" juridique et financier des responsabilités mais également des performances attendues par le groupement Urbaser.

Urbaser choisi à Bayonne après un "dialogue très compétitif" ?

Placé devant l'obligation de conception, de réalisation et également d'exploitation de Canopia, ce triple marché doit donc permettre de garantir un suivi longitudinal plus probant, ont assuré les responsables de Bil ta Garbi le 5 janvier dernier, "nous aurons une parfaite maîtrise du processus industriel, de l'impact et des risques possibles", qui ont juré de pouvoir "porter une très grande ambition".

"Un dialogue très compétitif nous a rassurés avec Urbaser", déclarait Alain Iriart, Président du syndicat, après avoir rappelé que Bil Ta Garbi avait visité plus de 60 centres de traitements de déchets en France.

"Bil ta Garbi n'est jamais venu au Sytrad", réagit le Directeur technique du syndicat de l'Ardèche et de la Drôme, "mais à l'automne 2010, Alain Iriart a bien rencontré notre Président", soit à la période où ce syndicat décidait de nommer un expert judiciaire contre Urbaser.

La nature polémique de ce dossier était de toute façon connue du syndicat basque, puisque le bureau d'étude Girus, assistant de maitrise d'ouvrage auprès d'Urbaser pour le Sytrad, l'est aussi pour le projet Canopia, et qu'il était également membre du comité de sélection des candidats pour Bayonne.

Un retour d'expériences comme garantie pour Canopia ?

"Nous avons adopté des mesures très spécifiques et contraignantes pour éviter ces mêmes débordements", assure-t-on chez Girus, "Urbaser a certes des casseroles mais était aussi le seul à posséder 25 usines en Europe" pour un appel d'offres qui, en 2009, aurait recueilli quatre candidatures.

"Il n'y a pas grand chose de comparable entre les deux projets", assure encore le chargé de mission, "ce qui n'a pas été bien quantifié en 2008 l'est beaucoup mieux aujourd'hui" du fait du retour d'expériences du Sytrad, où avaient été installés des dispositifs pourtant comparables de dépression de l'air ambiant pour limiter toute pollution olfactive.

Dans le rapport d'enquête publique actuellement en mairie de Bayonne, l'industriel affirme ne jamais dépasser 240 unités d'odeur par m3 "dans aucune de ses usines", ce qui n'est pas vrai dans l'Ardèche (où ont été mesurés jusqu'à 2.000 unités d'odeurs), et assure toujours maitriser la technologie permettant la valorisation des déchets en compost, par la voix de son directeur commercial, Bertrand Hyllaire..